Buses et autres rapaces
Depuis quelques années, je m’efforce de représenter des oiseaux de proie. Tâche difficile à bien des égards. Difficultés techniques d’abord. Il est établit que pour objet naturel que l’artiste imite, il est en premier lieu question de proportions. Respecter les proportions, c’est somme toute respecter l’objet. L’anatomie des oiseaux de proie diffère selon les différents genres de rapaces. Ainsi le genre Buteo (buses) diffère du genre Aquila (aigles), etc. Taille, silhouette, motifs des plumes, couleurs. De plus, en observant ces magnifiques oiseaux dans la nature, on s’aperçoit assez vite qu’il existe des variations individuelles pour chaque espèce.
J’ai archivé une grande quantité de photos de rapaces pour me faire une idée claire de leur anatomie et jouir le plus possible de leurs variations individuelles. En observant souvent ces oiseaux dans la nature, j’ai cherché à saisir le plus possible l’attitude d’une espèce. Et puis, j’ai visionné une grande quantité de vidéos. J’ai consulté les bons manuels d’ornithologie pour apprécier le travail des artistes illustrateurs. Enfin, j’ai admiré à m’user les pupilles les œuvres des artistes animaliers tels que Robert Bateman, Lindsay B. Scott, Raymond Harris-Ching, Richard Casey, Jean-Luc Grondin, Lars Jonsson… et autres. Tous ces artistes m’ont obligé à travailler comme un forçat !
Après le travail anatomique, reste le travail de rendre l’expression. Cela demande un certain temps et le plus difficile, c’est de rendre l’expression pour chaque groupe de rapaces sans nuire à l’anatomie. En d’autres mots, il faut que l’expression traduise l’âme de l’oiseau, tout en s’inscrivant rigoureusement dans son anatomie. Il faut éviter de rendre ces oiseaux trop ‘’méchants’’ en forçant les traits. Ou à l’inverse, par manque d’expérience, on peut les représenter avec une expression ‘’oisive’’ et même parfois ‘’stupide’’, comme s’ils ne regardaient absolument rien. Il faut se faire à l’idée que ce sont des prédateurs et que leur regard traduit une certaine acuité visuelle, une sorte de concentration soutenue. L’oiseau est plus limité en termes d’expressions que ne le sont certains mammifères, car ces derniers possèdent beaucoup plus de muscles faciaux. L’oiseau semble toujours fixer le regard. Il faut donc, pour l’artiste, varier le plus possible les poses, les contrastes, la lumière, le décor… Et profiter au maximum des variations individuelles, pour ne pas donner l’impression que c’est toujours le même modèle qui sert de sujet !
Et puis, en consultant abondamment les artistes animaliers, je suis aperçu que certains dessinent les plumes trop bien rangées, en donnant l’impression que ces dernières sont disposées comme des tuiles sur un toit. Rien n’est plus monotone ! Cela ne laisse pas de place aux variations qu’offre la plume qui est somme toute assez mobile. Il faut savoir utiliser esthétiquement cet aspect. Aussi, la plume est à la fois souple et rigide, il faut en tenir compte !
Pour ce travail j’ai souvent utilisé le stylo à bille (Bic). C’est un moyen qui marie à la fois les traits de la gravure sur cuivre et la plume à l’encre, mais qui possède une souplesse remarquable. Pour traduire la plume des oiseaux, je considère que c’est un moyen fort appréciable. Pour apporter un peu de douceur, j’ai employé la cire. Cette technique, peu utilisée, s’avère excellente pour transmettre quelque qualité ‘’laiteuse” à la lumière et rapprocher surfaces et textures du satiné de la soie. Vient ensuite la carte à gratter que j’utilise souvent. Elle permet de travailler la lumière avec de forts contrastes. Pour transmettre de la délicatesse, j’aime bien les crayons de couleurs. J’ai décidé avec cette série d’oiseaux de proie de produire exclusivement des dessins. La raison est que j’avais beaucoup d’idées que voulais traduire d’une manière quelque peu expéditive. Or une peinture demande beaucoup de temps. Aussi, j’avais en tête de faire le portrait de ces magnifiques et majestueux volatiles. S’il s’est glissé par-ci par-là des compositions – je veux dire un paysage et son oiseau -, cela a été somme toute une sorte de composition intimiste, ou si l’on veut une composition dirigée selon les parties anatomiques de mon sujet, comme les plumes, les yeux ou la tête. Chaque détail m’a demandé de longues heures d’étude car je ne tenais pas à décevoir ni l’artiste en moi, ni l’ornithologue. J’ai voulu orchestrer chaque détail comme un instrument de musique dans un ensemble harmonieux. Et puis, méditant tout de même un peu sur mon travail, j’ai remarqué à quel point les rapaces traduisent mon amour de la solitude, du silence et du désir de prendre mon dernier envol !
Il va s’en dire qu’avant de rendre acceptable un dessin de rapace, il faut de longues heures de travail. Il ne faut jamais se décourager et accepter avec patience de recommencer et recommencer. En bout de ligne, c’est toujours l’expression qui couronne le tout. Vous aurez beau traduire, maîtriser, rendre lignes et détails presque parfaits, si l’expression n’est pas au rendez vous, il y manquera toujours quelque chose d’important, sinon l’essentiel. Sur ce dernier point, il n’est guère de manuel qui puisse vous guider, sinon votre propre acharnement. N’oublions pas toutefois que l’expression sans la technique n’est guère recommandable. Comme le chantait Brassens : «Car un don sans technique n’est rien qu’une sale manie.»
En terminant, je voudrais souligner l’importance de deux choses essentielles dans mon travail d’artiste : les livres et la nature. J’ai passé de longues heures à consulter des ouvrages de sciences naturelles. Ainsi le beau livre de Paul Géroudet «Les rapaces d’Europe»(1). Écrit dans un beau français, l’auteur sait rendre la lumière poétique à ses descriptions sans jamais nuire à la rigueur de la science. Je mentionne aussi, de David Allen Sibley, son magnifique «The Sibley, guide to the birds»(2), de Mark Beaman et Steve Madge, l’excellent «Guide encyclopédique des oiseaux du paléarctique occidental»(3). Avec ces livres, et quelques autres, je me suis familiarisé avec les oiseaux de proie. Et bien entendu, dans mon cas, c’est toujours pour produire du beau, selon les règles de l’art. Tous ces beaux livres m’ont fait aimer davantage la nature, et mon amour de la nature me précipite sans détour vers les beaux livres. Puisse Aristote lui-même m’entendre !
(1) Paul Géroudet, Les rapaces d’Europe diurnes et nocturnes, Delachaux et niestlé, 2013
(2) David Allan Sibley, Guide to the birds, National Audubon Society, 2000
(3) Mark Beaman, Steve Madge, Guide encyclopédique des oiseaux du paléarctique occidental, Nathan, 1998
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«Buse 1» Crayons de couleur et cire sur papier teinté, 18x30cm - 2013 (prix:180$)
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«Buse 2» Crayons de cire sur papier teinté, 20x30cm - 2013 (prix:180$)
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«Buse 3, serres» Stylo à bille sur papier teinté 24x24cm - 2013 (prix: 100$)
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«Buse 4, en vol» Stylo à bille sur papier teinté, 22x30cm - 2013 (Coll. privée)
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«Balbuzard» Carte à gratter sur carton, 26x35cm - 2013 (prix:280$)
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«Buse 5» Stylo à bille sur papier teinté, 20x29cm - 2013 (prix:280$)
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«Aigle royal» Crayons de cire et crayons de couleur sur fond à l'encre sur carton, 22x25cm - 2013 (prix:300$)
(Buse 6) Les scapulaires sont les plumes situées entre le dos et l’aile d’un oiseau. Ces dernières plumes chez la Buse à queue rousse possèdent des motifs bariolés de brun et de blanc, ce qui forme une sorte de damier. De plus, en dessinant les plumes du dos, j’ai cherché à mettre en valeur les espaces entre les plumes que j’ai accentué en insistant sur l’ombre. Représenter les plumes trop collées les unes contre les autres ne fait pas très naturel. De plus, j’ai trouvé vers la fin de la réalisation une astuce pour mettre en valeur la disposition des plumes, en dessinant une branche garnie de feuilles de peuplier. Pour le dessinateur, il faut se familiariser avec les types de plumes. Les motifs qui ornent ces dernières sont importants. Les plumes des rapaces possèdent souvent des barres sombres et des taches claires dont l’artiste peut profiter et exploiter ad infinitum.
«Buse 6» Crayons de couleur sur papier teinté, 22x30cm - 2013 (prix:300$)
Mon Épervier de Cooper
Je suis franchement captivé par le dos des rapaces, car il offre l’occasion de montrer la texture de leurs plumes les plus rigides. Chez les mammifères, la fourrure ne masque jamais totalement la physionomie des muscles et de l’ossature, alors que chez les oiseaux, les plumes forment une ‘’cuirasse’’ qui fait penser à l’armure d’un samouraï. Avec cet épervier (Accipiter cooperii), j’ai voulu montrer les deux ailes qui se croisent en bas du dos au niveau des secondaires et des primaires.
On serait tenté de louer le travail technique en ce qui a trait aux détails et c’est vrai que j’ai voulu un travail minutieux. Mais ce serait faire une erreur que de penser que par «travail minutieux» j’entends uniquement de rendre les détails. S’acharner à valoriser que les détails (texture, lumière, reflets, ombres) me paraît très limité comme démarche. La difficulté technique a été de situer l’oiseau dans la meilleure pose possible en vue d’admirer son dos et de profiter au maximum de la beauté de sa tête en profil. J’ai, tout au long de cette œuvre, pensé aux éperviers et faucon réalisés par les artistes japonais. Règle générale, les éperviers sont peints sur des branches. J’ai voulu procéder autrement et j’ai situé l’oiseau au sol dans un environnement fait de hautes herbes, l’endroit idéal pour débusquer une bécassine. Ainsi posté, mon épervier fait un peu penser à un busard, un rapace qui fréquente les prairies là ou poussent des hautes herbes.
C’est le travail des herbes qui m’a le plus coûté, car je n’avais aucun modèle. C’est donc en improvisant que j’ai petit à petit fabriqué ce décor. Il m’a fallu m’armer de patience car sans modèle je devais cheminer à tâtons. J’ai bien cherché, parmi mes nombreuses photos d’herbes que j’avais prises, une piste, des repères: rien ne correspondait à ce que je voulais. J’ai donc abandonné toute idée de me fier à une image déjà existante. Je me suis découragé quelques fois, mais la motivation revenait et lentement le décor s’organisait. Et puis mon oiseau était presque terminé et situé dans le tableau. Il est vrai qu’il est souvent plus pratique de construire le décor d’abord et ensuite d’introduire le modèle ou faire modèle et décor en même temps, mais en procédant comme je l’ai fait, je me donnais l’occasion d’organiser les herbes avec une contrainte, ce qui s’est avéré être une bonne chose finalement. Cette manière de faire n’est pas habituelle, j’en conviens. C’est le tableau lui-même qui l’imposait…
Je ne calcule jamais le temps qu’une peinture peut me prendre, mais pour celle-ci j’ai évalué exactement 35 heures sur une période de 5 jours.
«Épervier de Cooper» Acrylique sur carton, 23x35cm - 2013 (prix: 460$)