En écrivant ces lignes, j’ai pensé à mon ami le peintre Jean-Christophe Sekinger. Homme de bon sens et peintre excellent.
La démarche importe-elle plus que le résultat en matière d’art ?
Mes habitudes de lecteur de philosophie m’amènent à poser cette question avec tout l’intérêt qu’elle mérite. Il est nécessaire aujourd’hui de bien établir les choses en matière d’art, vu la complexité des discours à son sujet. Or selon certains, la démarche est ce qui caractérise au mieux la créativité artistique, car elle fait ressortir la personnalité de l’auteur et favorise la communication. Cela laisse entendre que le but que se propose l’artiste est secondaire, voire inutile quant à la pertinence de l’œuvre. S’il en est bien ainsi, autant dire qu’il existe autant de démarches qu’il existe d’artistes. Pour bien comprendre tout ceci, demandons-nous ce que l’on entend par démarche.
La démarche, ce sont les moyens que dont on dispose pour arriver à une fin, ou un but. En matière d’art, on ne peut pas abusivement nommer démarche toute action ou pensée qui gravite autour de la fabrication ou conception d’une œuvre d’art, cela irait à l’infini et à force de voir partout la démarche, elle finirait par n’être nulle part. C’est pourquoi je m’attarde à la limiter à son stricte nécessaire, question de commodité.
Vous allez me dire que c’est une façon bien peu poétique de prendre une question qui doit forcément être soulevée avec passion, car là où la passion fait défaut, l’art se vide de tout intérêt. Pas forcément. Je tente seulement de bien situer la démarche. Ainsi, pour être plus clair, je considère que toute démarche artistique doit partir de la matière propre qu’exige un art en particulier. Par exemple, si je me propose de produire une aquarelle, je dispose de papier, de pigments, de pinceaux et d’un sujet à peindre, par exemple. Donc pour faire bref, disons que par démarche, j’entends au fond les moyens matériels dont je dispose pour produire une aquarelle selon un sujet. Voilà.
J’avais dit plus haut être un lecteur de philosophie, mais n’entendez pas par là que ce qui m’intéresse, c’est d’user d’un vocabulaire élaboré pour parler de choses simples. Non, parler en s’inspirant de la philosophie, c’est essentiellement rejoindre les choses telles qu’elles se présentent à notre esprit, en partant de ce qui se présente à nos sens. Voilà pourquoi il me semble plus adéquat de parler de moyens plutôt que de démarche. D’ailleurs, à ce sujet, je trouve qu’on fait trop facilement de ce mot un fourre tout, ce qui complique passablement les choses. Il est donc plus sage d’éviter autant l’approche ultra passionnelle des uns que l’approche ultra conceptuelle des autres. Pour en arriver où ? Pour en arriver au discours de l’artiste bon Dieu ! C’est-à-dire à celui qui fabrique un objet en partant d’une matière, matière qui reçoit une forme conformément à son intention.
Pour parler sagement, il faut dire que toute démarche ne peut finalement être approuvée qu’en relation avec le but à atteindre. Cela est on ne peut plus normal et je dirais même plus : c’est naturel. S’il y a démarche, il y a forcément un but, non ? C’est ce que je voulais dire. On peut donc multiplier à l’infini les démarches, s’il n’y a pas de but, cela devient absurde.
Art conceptuel dites-vous ?
Mes humeurs de peintre qui fréquente la philosophie me conduisent parfois à trouver chez mes contemporains de biens drôles de manières de parler d’art. Je ne refuse aucun discours conceptuel, pour autant que ce discours puise convenablement dans le patrimoine du discours pensé. Mais dire qu’un art peut ou doit être de type conceptuel, laissez-moi réfléchir un peu… Aristote dit que la science est avant tout la recherche des causes. Il utilise donc des mots et des concepts pour appuyer ses démonstrations. Le concept, on le voit, sert particulièrement la démarche rationnelle à la recherche d’explications capables de satisfaire la raison pensante… Je ne vois pas ce que cela vient faire avec l’activité artistique. À quoi peut bien servir un art spéculatif qui s’appuie sur des idées-concepts ? Franchement, je ne vois pas.
La passion avant tout !
Encore là, je vais briser des cœurs. Je n’aime pas la passion ! Ou pour mieux dire : je n’aime pas que l’on parle d’elle en termes abusifs. La passion, c’est le cœur de l’art, son expression, sa raison d’être. Mais lorsque par malheur on la voit partout, autant mieux dire qu’on ne la voit nulle par. C’était d’ailleurs le problème de Shopenhauer en matière de volonté, le pauvre. Il croyait que la Nature entière était possédée d’un désir infini de volonté. Henri Bergson a bien fait de mettre entre parenthèses les propos de ce philosophe allemand.
Toute seule, la passion ne peut rien exprimer. Je le dis par expérience. Il faut un minimum de raison et de savoir-faire pour construire une œuvre, c’est manifeste. Mieux : il faut savoir conduire la passion, la retenir, la mesurer, l’aimer pour ce qu’elle est et non lui vouer un culte.
Une fois opéré ce processus de décontamination ou de purification, elle vous rend les plus beaux services.
La beauté sauvera le monde !
C’est l’écrivain Fédor Dostoïevski qui avait dit ça. Prophétique lorsqu’on y pense ! Je ne peux qu’être d’accord avec le russe. En effet, à l’heure où l’on parle de sauver la planète avec brulante actualité, elle arrive à point cette belle beauté si ardemment désirée et si peu servie.
Je sais bien que c’est en partant de l’esthétique que l’on l’aborde en premier lieu la beauté, mais ce soir je voudrais parler d’elle en termes de morale. Faire le bien, c’est marcher selon notre nature. Bien mieux, c’est aussi aller dans le sens du juste. Les Anciens parlaient du juste, du bien et du beau comme un tout logé au cœur de l’intelligence de l’homme. Parler de la beauté comme un bien juste capable de nourrir notre intelligence, c’est ouvrir une belle et durable perspective.
En effet, lorsque les discours politiques prendront fin et que les écologistes auront fatalement raison, il se peut fort bien que la planète entière soit un vaste débris. Pensez-y. L’homme sera dépouillé. Nu, sur une planète qui ressemblera à un désert d’ordures. Et là, par un monstrueux contraste, la beauté toute nue et brillante comme un dernier soleil !