À lire : http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Lettres/News13-08-02.html
Merci M. Guy Delaporte !
UN BILAN POUR LA DERNIÈRE SAISON PICTURALE ?
C'est bien la première fois que je fais un bilan, cela parce que la dernière saison fut si riche en événements qu'il me semble légitime de tenter l'expérience. Cette saison se situe entre juillet 2012 et mai 2013. Neuf mois ma foi assez laborieux où l'inspiration, comme la bière dans une taverne, a coulée à flots. De plus en octobre 2012, je réalisais un espace Internet où pouvoir loger mes œuvres. Ce lieu m'a permis de faire le point sur quelques aspects de ma peinture. J'ai cherché à éclairer le visiteur par des textes pour qu'il entre en confiance dans mon univers plastique. Toute tentative d'écriture sur la peinture doit partir de l'oeuvre et rendre explicite ce qu'elle contient. Pour ma part, je m'attache à l'expliquer en partant de sa réalisation. Je dois dire aussi que je ne sais pas exactement ce que mes peintures veulent dire, de quelle manière elles s'inscrivent dans un courant artistique, ni la portée des éloges qu'elles méritent - si mérite il y a ! Étant trop profondément dans ma peinture, je ne sais rien où cela me mène. J'ai un grand appétit de beauté et cela se traduit pas un constant besoin de produire. Je dis ces choses parce que certaines personnes, voyant mon travail, me suggèrent ceci et cela. Plus de lumière ! Plus d'animaux ! Pas trop d'ombre ! Plus de joie ! Moins de pensées sombres ! Savent-ils aux moins que je n'ai, à strictement parler, aucun contrôle sur mes sujets ? Je ne suis pas maître de mes tendances, pas plus que je ne suis en mesure de changer ma substance personnelle que j'ai reçu à ma naissance ! Si c'est bien cela être serviteur du beau, c'est une tâche parfois ingrate sur le plan social. Et voilà pourquoi, je le confesse, il m'arrive souvent en pensée de désirer que mon métier m'achève et que j'aille me reposer là-Haut, dans le bonheur d'une oisiveté contemplative. Je connaîtrai alors comme je suis connu…
Je le dis souvent : peindre, cela semble être un passe-temps des plus agréables. Non que cela soit une torture, mais ce n'est pas toujours agréable. C'est une sorte de tension permanente qui ne touche pas exclusivement les nerfs, mais un lieu de l'âme imaginative. Par contre, la joie que procure un travail bien fait dépasse ce qu'un plaisir du corps procure. Là, c'est l'âme imaginative qui semble atteindre les premiers étages de l'âme contemplative.
Le travail inspiré c'est à proprement parler avoir un fil conducteur, une idée génératrice de volonté. Mais qu'est-ce que l'inspiration ? C'est une disposition au travail artistique, ce qui se traduit par une facilité à poursuivre un projet. Sans cette disposition, une idée artistique reste quelque peu figée. Elle peine à avancer. L'inspiration, pour ma part, je la ressens comme un muscle bien oxygéné.
«Chaise d'été» (voir la page PRÉSENTATION) m'a causé énormément de soucis, à l'inverse «La remorque» a été peinte avec une facilité et une rapidité déconcertantes. Voyons cela de plus près. Je voulais peindre une chaise en plastique, j'ai donc fait un croquis d'une chaise vue dans un chalet, au mois de juin, à Compton. Je me disais tout bonnement que je n'avais besoin que de ce croquis et que le reste, je l'improviserai. Mais voilà, j'avais déjà ma chaise presque terminée sur ma toile, je m'attaquais alors au décor ambiant. J'avais une bonne partie de ce décor presque terminé lorsque j'ai eu une idée que je trouvais généreuse. Je décidais donc de peindre un oiseau perché sur la chaise. Mauvaise idée. L'oiseau introduisait un mouvement qui faisait basculer tout le mouvement interne de la chaise et les choses se compliquèrent passablement. Je vous le dis maintenant, maintenant que je le sais. Mais alors, à ce moment là du travail je ne comprenais absolument pas ce qui arrivait. J'enlevais, je remettais l'oiseau, mais le problème restait entier. Une fois que j'eus compris que l'oiseau n'avait pas sa place dans ce tableau je l'enlevais, il me restait par la suite à harmoniser le décor, ce qui ne se fît pas sans complications. Mais bon, j'ai tant bien que mal terminé le travail et fort satisfait, je signais le tableau ! Avec «La remorque» (voir la page PRÉSENTATION) ce fût à peu près le même processus : un croquis que j'amenais à l'atelier pour lui trouver un décor approprié. Je remarquais qu'une des deux roues de ma remorque n'étais pas tout à fait ronde, et au lieu de la refaire, je plaçais un tronc d'arbre à gauche, pour la masquer partiellement. Cet élément s'incorpora merveilleusement et solidifiât la composition. Il me vint par la suite l'idée d'ajouter au centre, à l'arrière plan, un chêne et finalement une petite clôture blanche et le tout me semblât avoir une solidité remarquable. Tout au plus cinq à six heures de travail. Je ne m'attendais pas à ça. Pour vous donner une idée, «Chaise d'été» m'a demandé plusieurs jours de travail et cela dans un état de tension que je n'oublierais pas de si tôt !
Ce sont là les petits inconforts et les aléas de la composition. Car pour moi, composer, c'est assembler des éléments hétérogènes. Il me semble souvent les incorporer de force dans le tableau. Et puis, l'image dans le tableau résulte à la fois de l'observation, de l'imagination et du hasard.
Au fond, pour moi, la réalisation d'une peinture résulte de l'observation, observation qui doit être transformée pour appuyer une idée forte, un sentiment durable. Il arrive parfois que je mélange pure imagination et stricte observation. Cela m'arrive lorsque j'imagine une ambiance dans ma tête et que je cherche par la suite un modèle capable de supporter mon image mentale, c'est en somme le procédé inverse du précédent. Au fond je tente de rendre ma vision mentale plausible et réaliste en quelque sorte.
Et puis, la troisième forme de réalisation, c'est l'imagination qui n'est aidée que par l'imagination. C'est alors pour moi une occasion de dialoguer avec mes souvenirs optiques. Je me suis rendu compte que cette méthode met en lumière des éléments oniriques.
Je dirais que ce sont là mes trois manières claires de conduire une peinture sur le plan de la réalisation. Voilà pourquoi, même si je me considère être un peintre réaliste, je remarque des liens très variés entre l'acte d'observer et l'acte d'imaginer. Cela parce que la stricte observation n'est pour moi qu'un départ. Certaines personnes voient dans mes peintures des distorsions qui les propulsent dans l'univers de rêves. Je ne suis pas insensible à l'univers surréaliste, non plus à d'autres procédés ou tendances. En fait, je pense que j'aime figer sous forme reconnaissable des impressions rencontrées dans mon univers intérieur, univers de passions, de rêves et je dirais même de drames, car j'aime la violence en art. Je n'aime pas la sensualité telle qu'on peut la trouver chez un Henri Matisse ou un Pierre Bonnard. En effet, j'évite souvent d'arrondir les formes et ma palette trouve satisfaction si elle contient du brun, couleur qui me sert à appuyer presque toutes mes couleurs. L'art de peindre n'est pas seulement pour moi un jeu de lumière dans la rétine, mais plutôt une heureuse tentative d'apaiser mes montres ou l'art de transformer en formes et couleurs une note très grave qui se loge dans les étages les plus sombres de mon âme. C'est sans doute pourquoi j'ai toujours aimé les cavernes et que bien souvent mes paysages sont animés par une intuition géologique.
Je suis toujours à la recherche de nouveauté. Cette nouveauté s'ajoute à mon savoir faire, il y a donc continuité. Je dirais que depuis quelques temps, je cherche des sujets nouveaux et des manières de l'approcher. J'exploite alors certains angles. Je mets l'accent sur sur certains éléments plastiques qui m'étaient peu familiers. Et puis, je m'inspire beaucoup d'autres peintres. Par exemple, j'ai souvent considéré Alex Colville comme un artiste trop intellectuel, mais que j'ai appris à découvrir. Découvrant aussi d'autres artistes canadiens, j'ai pris plaisir à parcourir leurs oeuvres avec un réel bonheur. Étrangement, plus j'avance à la recherche de procédés plastiques, plus je cherche un certain régionalisme. Cela se traduit par la recherche de mes sujets autour de moi, sans aller trop loin. Une simple plante poussant dans une fissure de trottoir est pour moi un sujet digne d'être représenté. À deux pas de mon atelier, il existe un univers fait d'objets simples, mais que mon imagination désire transformer. C'est justement cette initiative de transformation (métamorphose) qui réclame des procédés plastiques nouveaux.
Cristian de L. 15 septembre 2013